Nastia Yombo
Chantier participatif à Hay-les-Roses, carnet de bord
Dernière mise à jour : 23 août 2021
Portées par l'association du 94, Matériaupôle, nous avons gagné l'appel à projet "Territoire du Val-de -Marne en faveur du climat".
Dans ce cadre, nous (Haiko et Transfolab) sommes intervenus auprès de l'association Philia pour mener un chantier participatif au sein du foyer de demandeurs d'asile à Hay-les-Roses (94). Avec cette action, nous cherchions à améliorer le cadre de vie des parties communes et remédier aux nuisances acoustiques, grâce aux panneaux décoratifs en carton de récupération et en biomatériaux.
Le chantier s'est déroulé sur trois jours inoubliables. Voici le retour sur cette expérience.
Autres rapports à la matière
D'abord, chaque chantier se prépare et surtout celui-là. Dès le début, nous voulions avant tout créer une rencontre d'égal à égal dans l'action commune, pour l'intérêt commun.
Ukrainienne et colombienne d'origine, nous sommes parties de ce qui est commun pour nous tous: la matière qui porte en elle les souvenirs du temps où nous faisions un avec le vivant et rien ne nous séparait.
Un jour, le carton de l'emballage était un arbre et le t-shirt était une fleur, et nous étions des éponges marines...
Aujourd'hui, nous sommes réincarnés, mais nous n'avons rien oublié. Avec ses souvenirs communs, nous allons habiller les murs de ce lieu d'accueil...
Jour 1
Un bus nous amène au centre de la commune de l'Hay-les-Roses au sud de Paris. Une longue rue chemine vers l’autoroute du soleil (A6) où se trouve le foyer pour les réfugiés.
Le foyer est entouré d'un petit espace vert avec quelques tables du ping-pong sous les grands arbres. Les mamans étendent leur linge, les bébés et les chats attendent sur l'herbe en plissant les yeux au soleil.
A l'intérieur, on s'active à la laverie, dans les couloirs, sur les escaliers : les résidents et les employés se mélangent. Nous arrivons dans la pièce commune où est prévu notre chantier.
Kevin, le responsable de maintenance, est déjà là avec des caisses, remplies de matériel de bricolage, ainsi que des tasseaux de bois.
On fait l'inventaire des outils et on regarde les croquis.

Nous expliquons le principe: « D'abord, nous devons fixer les tasseaux au mur. Sur ces tasseaux, nous accrocherons les panneaux décoratifs qui tiendront sur des tourillons en bois. Cette structure permet d'abord de niveler la surface du mur et de modifier la composition selon l'inspiration, et remplacer les panneaux en cas de besoin. »
Nous marquons les emplacement des trous sur les tasseaux, tandis que Kevin perce le mur porteur qui ne se laisse pas faire. La porte de la salle, grande ouverte sur nos agissements, attire les curieux qui entrent et font l'état des lieux. Parmi eux, arrivent deux enfants aux petits yeux noirs qui pétillent :

« Quand j'étais bébé, j'avais les yeux verts », dit Yaser, vêtu d'un maillot du PSG.
« Et moi, j'ai toujours eu les mêmes yeux » ajoute Gadeer, sa grande soeur.
Ils examinent nos mouvements, vite intègrent le processus et nous inondent des questions. Ils tiennent les tasseaux, nous passent les outils et marquent les emplacements des trous. Ils voudraient aussi percer, mais nous expliquons que cela peut être dangereux.
« Dans ce cas, je vais mettre ma main sur les vôtres quand vous le faites pour sentir la vibration », propose Gadeer.
Un vieux monsieur vient inspecter les lieux en silence. Il a un regard bienveillant, qui a l'air d'approuver nos actions.
Les enfants nous laissent pour rejoindre des activités artistiques dans la salle d'à coté.
« Venez voir, venez voir ! » Ils nous montrent les masques d'animaux qu'ils ont créés à partir des assiettes en carton.
« Toi, tu es en tigre ? Et toi, un éléphant... » Au fond, un petit garçon nous montre timidement son masque gribouillé.
« Et toi, tu es qui ? » Pas de réponse... Gadeer nous donne un indice :
« Le roi de la jungle ! »
C'est l'heure du casse-croûte. Nous allons pique-niquer à l'ombre des arbres à coté du foyer et profitons pour respirer librement, sans masques.
On fait une petite balade à travers la coulée verte à deux pas. Au pied des immeubles, quelques papis jouent à la pétanque. Un peu plus loin, la végétation se densifie, les herbes deviennent plus folles et plus sauvages. On se croit à la campagne, hors du temps, hors des murs et hors des cadres.
Après cette petite parenthèse, nous revenons au foyer. Les enfants ont mangé et reviennent nous voir :
« Quand je serai grande, je vais faire quelque chose de mes mains, comme vous » se confie Gadeer.
« Et moi, je serai footballeur ! » dit Yaser en ajustant son maillot du PSG.
Les tasseaux sont fixés et la journée s’achève.
Jour 2
Ibrahim, Rachidi et Moussa arrivent à l'heure pile du rendez-vous. Nous faisons le tour du monde de nos origines : Colombie, Ukraine, Guinée, Mali, Congo, Allemagne, France...
La France est notre point de rencontre, un nouveau départ pour nous tous.
Alors, nous partons de l'existant : carton de récupération, chutes de tissus, la fécule de maïs, cutter, ciseaux... Nous composons des modules à partir du carton et des carrés de tissus, disposés de manière aléatoire. Les gestes deviennent vite habiles. Chacun choisit sa couleur et la place sur le territoire du module.
Les femmes de l'équipe, nous amènent des pizzas, salades et melons. Cette fois, nous faisons le tour du monde des spécialités :
« Ah, les pizzas ! Nous n'en mangeons jamais ! » sourit Moussa.
« Nous préférons les feuilles de manioc » précisent les autres, « c'est un peu comme...comme...les épinards. Gabon, Congo, Cameroun, Centrafrique, chacun a sa manière de les cuisiner. »
Le déjeuner se termine vite, Ibrahim se prépare :
« Maintenant, je dois aller à mon cours de français à Bagneux »
« Bon courage ! »
Nous reprenons et constatons aussitôt un décalage de la trame de tasseaux par rapport à notre calcul initial :
« On risque de ne pas avoir les trous en face des tourillons à cause de ce décalage ! Que faire ? »
Nous décidons d'ajouter des tasseaux horizontaux, afin d'augmenter la surface pour les tourillons.
Le principe du réemploi oblige, nous trouvons quelques planches en bois sur place. Kevin les ajuste à la bonne taille. Petit à petit, nous arrivons à couvrir plus de la moitié de la trame, mais il manque tout de même quelques tasseaux.
Kevin prend le volant de son camion et file au Leroy Merlin le plus proche.
En attendant, nous commençons le plantage des tourillons.
Il est 16h et Moussa doit partir récupérer sa commande à la pharmacie. Kevin est de retour.
« Comment fais-tu pour rester toujours zen ? »
« Cela ne sert à rien de s’énerver » dit-il.
La chaleur est à son apogée. Nous fixons le reste de tasseaux.
Jour 3
Nous ne sommes pas sûrs de retrouver tous les participants, car nous savons qu'ils ont beaucoup d'autres engagements par ailleurs.

Ibrahim et Moussa arrivent à l'heure pétante.
« Vous venez nous dire bonjour ? »
« Oui et aussi continuer notre travail ! »
On s'y remet. L’installation est beaucoup plus fluide aujourd'hui et les panneaux se posent facilement sur les tourillons. Le murs se couvrent de carrés de couleurs qui le font scintiller. Nos yeux scintillent aussi.
Stéphane, l'un de plus anciens responsables de foyer, arrive :
« Quel boulot ! C'est beau ! Il faut juste savoir que lors des fêtes dans cette salle, les enfants vont forcement être attirés par les panneaux, les toucher et même peut être les arracher. »
« Nous assumons cette éventualité et laissons quelques panneaux de remplacement au cas où. Maintenant, Moussa, Ibrahim, Rachidi et Kevin savent comment les remplacer et puis, Yaser et Gadeer se chargeront de la sensibilisation auprès des enfants. »

Le dernier panneau est fixé et nous immortalisons ce moment avec un selfie, les pouces vers le haut et les sourires satisfaits derrière les masques.
Les deux bons poulets amenés par Patricia, la directrice du foyer, nous régalent. Moussa est Ibrahim les dévorent en vitesse et courent à leurs préoccupations.
Nous prenons le temps de manger avec Kevin à l'ombre, enlevons les masques, saluons les passants et échangeons les regards avec les chats, installés à leurs postes habituels.
En échangeant sur les expériences vécues, nous constatons la puissance des émotions qui nous dominent et une légère nostalgie à l'idée de plier les affaires.

Le matériel est rangé et nous invitons l'équipe du personnel à regarder le résultat final. Ensemble, nous revenons longuement sur les détails de ce que nous avons vécu et ressenti, et prenons quelques photos du personnel.
« Nous avons encore beaucoup d'idées quant aux projets participatifs. » dit Patricia.
A suivre !
Le bus nous amène vers le métro et RER, nous rentrons chez nous enrichies humainement et grandies...